Juil 30
Etty Hillesum

Une vie bouleversée : un livre pour l’été

Etty Hillesum a 27 ans quand sa plume alerte, spontanée, tendre mais sans concession, rédige le journal de bord d’une vie bouleversée, entre les années 1941-1943, aux Pays-Bas. Elle pourrait presque être la sœur aînée d’Anne Frank que l’on connaît bien, et l’amie privilégiée de la grande Édith Stein malgré les différences qui les séparent. Un même destin en effet les unit, un même souffle spirituel les anime. Juives toutes trois, elles ont été emportées dans les turbulences de l’Allemagne nazie ; toutes trois douées pour l’écriture elles nous ont laissé – philosophie, psychologie ou littérature authentique – de très beaux textes sur l’existence, capables de nourrir l’intelligence sans restriction ; même au cœur de l’été quand la réflexion est en vacances !

Une vie bouleversée, un livre pour l’été, présentation par Annick Rousseau

Fév 16

On a déjà beaucoup écrit sur ce nouvel ouvrage du Père Zanotti-Sorkine, paru en janvier 2014, aux éditions Robert Laffont sous le beau titre : « Le Passeur de Dieu ». Les critiques sont très favorables et s’accordent pour éviter, dans leurs colonnes, les questions qui fâchent, les réticences qui en diminueraient la portée. Du genre : « Est-ce aux prêtres d’écrire un roman ? Pourquoi ? N’ont-ils pas autre chose à faire dans l’Église que d’écrire ou de chanter (cf. « Les Prêtres » ) ce que d’autres font très bien ? Pas un mot non plus sur le style du livre, sur cette familiarité un peu recherchée, un peu désuète avec le passé antérieur ou l’imparfait du subjonctif… que l’on eût appréciée hier à sa juste valeur.

Après tout, Dieu peut bien passer à travers toutes les formes grammaticales. Ce qui a été, à juste titre, retenu et reconnu, c’est le souffle puissant et rapide qui traverse l’ensemble des dialogues du livre ; une flamme qui éclaire et avive questions, passions, sentiments, découvertes, sans les brûler, mais en les gravant plutôt au cœur même des êtres. Xavier, le jeune journaliste, « passeur d’idées » mais désemparé devant les difficultés de la vie ; le « club » des ermites, une association un peu particulière dont la sagesse tendre mais austère fait penser aux sentences des Pères du désert. Aussi affirmatifs dans leurs convictions humaines et spirituelles, moins énigmatiques sans doute.

Sans rien trahir du contenu d’un livre à méditer, on peut ici, je crois, admettre que le personnage central, d’abord absent, puis dévoilé en ses multiples facettes est l’Amour lui-même, malgré ses contrefaçons, annoncées ou dénoncées par les plus belles pages de l’Évangile. Nous en saisissons toute l’ampleur grâce à l’écho des paroles d’écrivains, souvent poètes, que l’auteur aime à évoquer.

Il serait tentant de recueillir au fil des chapitres un passage particulièrement incisif, une citation parmi d’autres que l’on aimerait retenir. Pour ma part, ce qui m’a touchée dans « Le Passeur de Dieu« , c’est l’intention décidée, exprimée de multiples manières, qui anime le « Curé de la Canebière », sa logique d’artiste-prêtre. Il chante sur un CD inclassable « Une idée folle » : le projet qu’il a de rencontrer indistinctement ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas. Les uns se pressent pour écouter ses homélies sous la voûte désormais illuminée de l’église Saint-Vincent-de-Paul. Pour les autres il peut déposer en librairie, ou en kiosque numérique, à tous vents, une écriture plus vaste que la parole. Ce roman ? Non pas un réservoir de vérités toutes faites à reconnaître, mais des mots authentiques, aussi libres que les semences d’ Évangile jetées à la volée !

Annick Rousseau

Déc 14

Les racines juives du christianisme. (Simple récit de voyage.)

JérusalemLa nuit est tombée depuis longtemps sur Jérusalem. Les lumières clinquantes des tours et des clochers se réfractent en éclats orangés à travers le vitrail cintré du monastère qui nous accueille au Mont des Oliviers. Chez les sœurs Brigittines la soirée a été longue, riche en discussions partagées entre notre groupe et les deux rabbins qui écoutent nos propos sans se lasser d’y répondre.

Notre groupe ? Une trentaine de personnes venues de différents pays d’Europe ; une majorité de catholiques, sous la houlette de deux prêtres catholiques, issus du judaïsme ; enseignés par des rabbins de Jérusalem, des professeurs de l’Institut Albert Decourtray ; des « juifs messianiques » aussi, peu connus de nos milieux d’appartenance. Le voyage, du 19 au 27 mai 2013, a été pensé et organisé par la Communauté de l’Emmanuel, mais ouvert à tous.

Quelqu’un de chez nous lance alors l’ultime question, jamais posée de front en dix jours de rencontres amicales :

Jérusalem le mur des Lamentations

« Et vous, que pensez-vous du Messie ? »

– Réponse du plus jeune des rabbins (l’interrogation ne fait pas tomber sa kippa d’étonnement ; il est habitué aux demandes récurrentes des chrétiens !) : « Vous, vous croyez que le Messie est déjà venu, et vous attendez qu’il revienne une seconde fois. Nous, nous l’attendons, et à la fin des temps nous verrons bien qui a raison et si c’est bien le même. » Tout le monde sourit. La différence, apparemment absolue qui nous sépare du peuple juif, en cette soirée du moins, n’aura pas altéré les bonnes relations que les deux protagonistes ont toujours voulu préserver.

D’un pèlerinage à l’autre.

Jérusalem le tombeau du ChristTout chrétien a le désir d’effectuer, un jour ou l’autre, un pèlerinage en Terre Sainte : mettre ses pas dans les pas des Hébreux au désert, contempler le lever du soleil tout en haut du Sinaï, voir de ses yeux surtout la terre que Jésus a choisi d’habiter : Bethléem, Nazareth, Jéricho… tous les lieux de son enseignement, familiers à nos oreilles ; la liturgie les égrène chaque jour. Et Jérusalem, là-haut, où le Maître et Seigneur a connu la mort et l’incroyable résurrection qui laisse à jamais le tombeau vide au Golgotha.

Le profil général de notre voyage en Israël ne correspond pas à ce pèlerinage classique fréquenté par des dizaines de groupes de tous pays surgissant des dizaines de cars qui font une ceinture jusque devant les portes de Jérusalem. Le but de notre périple consiste à nous fondre dans l’actuel peuple d’Israël, foulant son sol tant de fois déchiré, pour découvrir sa culture séculaire, son trésor religieux, son identité.

Il ne s’agit pas, bien sûr, d’une recherche totalement dénuée de présupposés. Car durant de longs siècles, quand Dieu faisait et refaisait alliance avec les patriarches, choisissait un peuple qui lui appartienne, gardien de la Loi et de la Promesse, Il tissait en prophéties partiellement voilées le visage à venir de son fils que les chrétiens ont reconnu, très tôt, comme le Messie, le Sauveur, pivot de l’Histoire universelle.

Mais partir auprès de religieux juifs pour écouter leur propre interprétation des Écritures, se plonger attentivement dans l’exégèse millénaire de leurs traditions écrites ou orales, c’est une démarche plus authentique, plus décapante aussi. La Parole de Dieu a retenti une fois pour toutes, commentée à l’infini par la compréhension humaine. Elle est l’en-deçà vivant, le Lieu de notre foi. Préférer pour un temps le son du shofar aux carillons de nos églises, ce n’est pas faire l’amalgame de la religion de nos « frères aînés dans la foi » et de la nôtre ; c’est bien, parfois, marcher dans le désert qui nous blesse, pour accéder à cette vérité sans évidence pour beaucoup que Jésus est le Messie attendu, juif rattaché de mille façons à sa race et à son peuple. On l’a dit et redit ; d’autres approches peuvent bien nous enseigner à le comprendre justement.

Visiter, écouter, travailler.

Entre rencontres et enseignements (trois heures par jour), place pour de belles visites archéologiques sous un ciel de printemps auprès du lac de Tibériade pour commencer : synagogues primitives à mosaïque ; nécropoles troglodytiques, tombeaux des sages, tel celui très fréquenté le Maïmonide, une des grandes figures du Moyen Âge savant. En face, le Golan, la Jordanie. Devant, la « Mer de Galilée », témoin pour nous de tant d’appels, de miracles de Jésus. Il nous faut parfois un grand exercice mental pour éviter de ramener l’identité de notre foi à l’altérité tangible où elle a pris corps. Mais les ruines ne sont que des témoins muets.

Nécropole antique | Nécropole antique | Moïse Maïmonide
Nécropole antique – Synagogue à mosaïque – Moïse Maïmonide

Ce sont les enseignements, de vrais cours pour adultes qui ont le plus contribué à nous transmettre d’incontournables thèmes essentiels, sur lesquels il faudra revenir : l’élection d’Israël.

Qu’en est-il de son sens, depuis la structuration de l’Église autour du Christ ? L’exégèse des rabbins : que nous apprend-t-elle des textes saints ? La prière des juifs : que nous dit-elle ? Et ce Nom, tétragramme imprononçable, YHVH, est-ce celui de notre Dieu, révélé à d’autres, comme le sceau de sa présence… en notre absence ?

Milieu de pèlerinage : lettre de Tibériade.

Les bougainvillées et le lacChaque jour le lever de soleil est magnifique, de l’or illuminant peu à peu les palmes immobiles qui se reflètent dans la profondeur de l’eau…

Bientôt, les cours de l’après-midi vont reprendre. Je songe… Habituée du désert, je me remémore l’accompagnement du peuple hébreu, conduit par la Nuée. C’est Dieu qui marche au pas de l’homme, le nourrissant, l’éduquant… Et Jésus, la multiplication des pains ?

Malgré tout, un peu familière des manières d’agir et d’être de Dieu, en intuition seulement, je perçois la donation singulière de son Nom,de son Être, à Moïse… Et le secret qui longtemps entoura Jésus au sujet de son identité. « Qui dites-vous que je suis ? » Un dieu qui se dévoile, tout en restant caché. La même tactique pour éveiller un cœur d’homme !

Et puis sous l’arbre de bougainvillées, se glisse en moi une certitude paisible qui ne me quittera pas, quels que soient nos différends, nos mutuelles incompréhensions, d’Israël à nous. Le Deutéronome et le Lévitique me le répètent : Dieu ne nous donne commandement absolu de l’aimer, que dans la mesure où il est lui-même l’amour. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, ton âme, et de tout ton esprit ». Et comme il s’agit d’une loi de vie, et non d’un simple sentiment éthéré, une piété creuse, il s’agira d’aimer « son prochain comme soi-même ». Là se trouve le fondement, les racines vivaces de la nouvelle alliance, de ce commandement nouveau que le Christ, L’Oint du Seigneur, accomplit, et renouvelle en sa chair, par la croix. (Jean.ev. chapitre 13, 35 36) « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Aimer ceux qui nous haïssent, faire de l’autre un frère plutôt qu’un simple ami. Ces paroles ne peuvent être que de Dieu, du même Dieu. Elles nous rendent plus présent son mystère.

Une légère brume voile le lac. Les pales du grand ventilateur se sont mises à tourner plus vite. D’enseignement en enseignement nous continuons à scruter les versets de la Bible, à mettre au grand jour le passé toujours présent dans la formulation de notre religion, mais en cet instant, l’Amour divin m´est donné comme bagage pour les jours qui suivent. Un trait de feu sans scorie, buisson ardent qui illumine, au fil du temps, l’un et l’autre testament.

Annick Rousseau – photos B. Rousseau

Sep 4

Un docteur de l’Église nous est donné, au moment même où les chrétiens retrouvent la force et l’actualité du Concile Vatican II. La foi et la sainteté transcendent donc le temps de l’histoire. Un demi siècle nous sépare du Concile, huit siècles de cette femme, tirée de l’ombre tout récemment, et qui, au premier regard dépasse nos attentes, en ouvrant à notre curiosité de multiples horizons.

Hildegarde, que savions nous d’elle ? De vagues conseils de médecine, des régimes très en retard sur notre alimentation sophistiquée ; à base de fenouil, de tisanes, de pyrèthre, et d’épeautre. Bien sûr, elle a ses adeptes, comme aussi ces musiciens raffinés qui nous replongent dans des tonalités et dissonances exigeant une oreille musicale exercée.

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Juil 25

Vierge de la nouvelle église de VenellesDébut juillet 2013, une grande statue de Marie prend place auprès des anges devenus familiers. Toute blanche, classique vue de loin, elle mérite un regard interrogateur : Marie présente l’Enfant Jésus qui tient dans ses mains un calice, non pas le monde en réduction, ou les saintes écritures, comme cela est traditionnel. L’origine de cette statue, venue de la Chartreuse Notre Dame (à Reillanne, près de Banon) nous est donnée par ce document fiable, écrit par l’une des religieuses de l’abbaye. Voici l’essentiel de sa réponse à nos interrogations.

Mère Prieure me demande de répondre à votre lettre du 28 juin :

La statue de Marie sur laquelle vous nous interrogez est vénérée en Chartreuse sous le nom de Notre Dame du Précieux Sang.

Vierge de la nouvelle église de VenellesLes Chartreux, plus au siècle dernier qu’actuellement, ont vénéré le Précieux Sang, sans pourtant l’introduire dans leur liturgie, à la différence de la liturgie universelle qui avait institué une fête le 1er juillet (supprimée à la suite du Concile Vatican II). C’était une dévotion largement répandue, comme le Saint Nom de Jésus, les Cinq Plaies, le Sacré Cœur. Et la statue dont vous avez une copie a été conçue par un membre de l’Ordre et réalisée par un artiste (non Chartreux je crois). Elle a été bien accueillie dans l’ensemble des Maisons de l’Ordre. On a voulu, je pense, signifier que le sang de Jésus versé sur la croix et actualisé en chaque eucharistie est le sang qu’il a reçu uniquement de la Vierge Marie. Elle est représentée comme une très jeune fille aux lignes pures et transparentes. Aussi Marie est la Mère, elle donne son enfant et son sang (sa vie) inconditionnellement. Elle se donne elle-même, elle est notre Mère.

Vierge de la nouvelle église de Venelles

Parmi les multiples vocables adressés à la Vierge Marie (voir par exemple l’Hymne acathiste des Orthodoxes), on peut conserver cette finale, pour la Vierge de la nouvelle église « Elle se donne Elle-Même, elle est notre Mère ».

Annick Rousseau

Mai 11

Cœur et chair mis à nu : une spiritualité pour notre temps ?
Un livre de Sylvie Germain

Impressions de lecture par Annick Rousseau

Avr 27

Cœur et chair mis à nu : une spiritualité pour notre temps ?
Un livre passionnant de Sylvie Germain

Analyse par Annick Rousseau

Déc 23

C’est Noël chaque fois qu’on essuie une larme dans les yeux d’un enfant
C’est Noël chaque fois qu’on dépose les armes chaque fois qu’on s’entend
C’est Noël sur la terre chaque fois qu’on arrête une guerre et qu’on ouvre ses mains
C’est Noël chaque fois qu’on force la misère à reculer plus loin

L'agneau mystique - Le rétable des frères VAN EYCKL'agneau mystique - Le rétable des frères VAN EYCKCliquez ↓ ci-dessous pour écouter John Littletone (3’30 »)
C’est Noël tous les jours

C’est Noël sur la terre chaque jour.
Car Noël, ô mon frère, c’est l’Amour

C’est Noël quand nos coeurs oubliant les offenses sont vraiment fraternels
C’est Noël quand enfin se lève l’espérance d’un amour plus réel
C’est Noël quand soudain se taisent les mensonges faisant place au bonheur
Et qu’au fond de nos vies, la souffrance qui ronge trouve un peu de douceur

C’est Noël sur la terre chaque jour. Car Noël, ô mon frère, c’est l’Amour

C’est Noël dans les yeux de l’ami qu’on visite sur son lit d’hôpital
C’est Noël dans le coeur de tous ceux qu’on invite pour un bonheur normal
C’est Noël dans les mains de celui qui partage aujourd’hui notre pain
C’est Noël quand le gueux oublie tous les outrages et ne sent plus sa faim.

C’est Noël sur la terre chaque jour. Car Noël, ô mon frère, c’est l’Amour.

Paroles Odette Vercruysse

Nov 9

La Bible des famillesMême à l’occasion d’une rentrée littéraire, on ne fait pas de pub pour faire l’éloge d’une Bible. Chacun connaît ce « livre le plus lu au monde ». On peut seulement regretter que ces pages fragiles, contenant la Révélation divine en son entier, ne soient pas davantage, grises, froissées, à force d’être consultées.

« La Bible des familles » qui vient d’être éditée semble un remède efficace contre cette désertion.

C’est un très bel ouvrage, présenté dans la version liturgique du texte, conçu par des auteurs compétents, soucieux de faire connaître le message biblique essentiel. Ils l’adaptent aux exigences de l’esprit moderne, curieux, rapide, tolérant mal les notes minuscules au bas des pages ou l’allusion à des coutumes ou des manières de pensée dont il ignore à peu près tout. Message pour les parents, les catéchistes et tout lecteur potentiel. C’est un premier point. Le second est nettement dirigé vers ces têtes blondes, ignorantes — et c’est normal — que sont les enfants, petits et grands. Ils sont très tôt fascinés par la couleur, le mouvement, les graphismes ; il ne s’agit pas de nier leur monde, mais de l’orienter, de le façonner à l’aide d’illustrations porteuses de beauté.

« La Bible des familles » répond, avec rigueur et une grande intelligence pastorale à ces deux soucis. À la fois par la présentation limpide du texte : titres en rouge, textes choisis mis en valeur, suivis de cahiers complémentaires et de la discrète présence d’un maître, d’un ami, plutôt, « pour vous accompagner ». On peut apprécier les multiples schémas, cartes et évocations historiques de la vie réelle des personnages, acteurs de l’un et l’autre Testament.Cosmologie des anciens

Pour donner quelques exemples : les auteurs ont choisi les illustrations dans un souci pédagogique de nous expliquer la vision cosmologique des Anciens. Ils renouent souvent avec les miniatures des livres d’heures, le tympan des cathédrales, et les toiles de grands maîtres de la peinture. Apparaît ainsi un fond esthétique, celui de l’art sacré, qui élève l’esprit en parlant au cœur.La Bible des familles

Fra Angelico, Vermeer, Chagall mais aussi des artistes contemporains. Il suffit de tourner les 1195 pages du volume…

L'ApocalypseLa sortie d'ÉgypteNous avons gardé pour la fin de ce « coup d’œil » trop succinct, notre coup de cœur : Les illustrations inédites d’Éric Puybaret, silhouettes élégantes des paysages et des personnages vêtus de tons pastels, évoquant sobrement une scène sans ligoter l’imaginaire, un talent où le dessin renforce le texte, sans le remplacer.

Jacques Fichefeux - La Bible des familles

    Les auteurs :

  • Jacques FICHEFEUX, responsable de la formation diocèse de Fréjus-Toulon
  • Claire Patier, exégète
  • Éric Puybaret, dessinateur

(Prix de l’ouvrage: 25 euros.)

Annick Rousseau

Oct 10

En cliquant → ici ← un lien vous dirigera vers le texte complet du Cantique, dont la lecture préalable nous paraît indispensable (dans la Bible de Jérusalem, parmi les livres poétiques et sapientiaux)..

PROLOGUE

Aquilon et vents d’Autan tourbillonnant, mêlez vos souffles d’esprit pour éclairer, en notre nuit, l’étrange beauté d’un ancien dialogue jailli de deux cœurs amoureux ! Que par vous s’engouffrent en ces lignes rien moins que le Cosmos et son Créateur, et l’homme et la femme d’abord, fruits aimés du sixième jour ! Au soleil de midi, à la fraîcheur des saisons, soulevez pour nous un pan du voile qui enveloppe l’Amour donné, partagé ; l’Amour modulé en cette belle poésie du Cantique des Cantiques, en cette plus belle des poésies !

INTRODUCTION

Certes, les chrétiens ont une connaissance partielle, par morceaux disjoints, de cette « cantate de l’Amour » (titre de l’essai magistral du P. Arminjon. DDB). Monnayée dans les cérémonies de mariage, elle embellit les professions solennelles des consacrés, quand le célibat choisi ouvre la porte à l’Amour spirituel infini et comblant, celui du Christ-époux, du Bien-Aimé qui donne la vie en plénitude.

Le judaïsme attribue au Cantique une valeur bien supérieure, omniprésente, sacrée. André Chouraqui, célèbre intellectuel juif, le rappelle souvent : la lecture de ce texte, au cœur de la liturgie traditionnelle hébraïque, inaugurait en sa maison chaque début de shabbat.

Ce « Cantique des Cantiques » dit de Salomon, notre cantate ou notre cantilène sans musique, remonterait-t-il aux origines du judaïsme ? Les avis divergent. Il n’y a pas plus de certitude, semble-t-il, sur la datation, que sur le texte lui-même du poème heureusement assez riche pour supporter quelques différences, d’édition à édition. Probablement, le poème a-t-il été élaboré au milieu du Ve siècle avant Jésus-Christ, du temps où Sophocle créait « Antigone ». Deux univers qui ne se recoupent pas.

Quelles que soient les divergences évoquées, quelle que soit l’ignorance des chrétiens qui ont parfois tendance à ne pas recevoir de façon juste un écrit éloigné du classicisme de leur formation, il reste que le poème peut-être le plus beau sur l’amour humain, secrètement traversé par l’amour de Dieu, est le texte biblique le plus déstabilisant, et donc le plus commenté et interprété de toute la Bible.

ÉROS OU AGAPÉ ?

Certes, ce n’est pas le thème de l’Amour, concept unique mais incarné du Cantique qui étonne le chrétien. Fidèle aux Écritures, il essaie jour après jour de vivre l’amour charité, « l’agapé qui ne passe pas », en toutes ses relations. Par contre, notre longue histoire entre « le Bien-Aimé » et la « Bien-Aimée » nous semble relever d’une autre veine, conjuguant sur fond de séparations possibles, tendresse charnelle, sensualité, voire érotisme. Le terme d’« éros » en grec, lui conviendrait davantage. Si cela est avéré, restons-en à l’histoire tout humaine d’un couple qui se forme. Au premier coup d’œil, le Cantique, c’est l’amour prégnant, puissant, quasi absolu qui unit, lovés l’un dans l’autre l’homme et la femme, disjoints après la chute. Malgré les discussions, les peintures, l’analyse linguistique, le genre littéraire du texte ne peut être un classique « épithalame » (du grec, épi : sur ; thalame : lit) c’est-à-dire l’hymne central célébrant le mariage reconnu d’un homme et d’une femme de rang royal, avec cette finalité profilée à l’horizon, de l’enfantement, de la descendance, fruit béni de leur union. L’union ici s’annonce en des lieux incertains : la nature (verdure), la chambre de la mère où Elle veut l’introduire, Lui, comme pour l’inclure dans son passé ; ni institution, ni projet de vie, une liberté vagabonde.

Lisant et relisant le Cantique sans l’appui d’un commentaire, l’on peut se demander au nom de quels critères un poème d’amour, isolé ou presque dans la Bible (mis à part le livre d’Osée ; le psaume 45, quelques passages d’Isaie), figure dans le canon hébraïque, le canon catholique et bien d’autres. Une sagesse exemplaire ? Une souple beauté littéraire ? Une inspiration divine ?

C’est au minimum une interpellation, un appel à confronter nos images du Dieu biblique, balafré des traits de notre inconscient, à sa vivante réalité créatrice qui défie notre entendement. Elle et Lui ne sont pas Ève et Adam emportés sans limite par le souffle divin mais… leur réplique revisitée par l’écriture des poètes, peut-être !

TOILES DE FOND :
le jeu des lieux, des temps et des couleurs

A – Le vert des prairies

Se laisser emporter dans l’élan du Cantique, c’est en imagination écouter en silence, et voir en trois dimensions les lieux où les sentiments de l’homme et de la femme se déploient. La toile de fond de leurs émois et de leurs bouleversements, (en fait le véritable contenu du texte) c’est le vert multiforme de la nature, piqueté des premières fleurs du printemps en Palestine.
Quelques extraits du second poème :

« J’entends mon bien-aimé.
Voici qu’il arrive sautant sur les montagnes
bondissant sur les collines (…)
Il me dit : « lève-toi ma bien-aimée
car voilà l’hiver passé,
sur notre terre les fleurs se montrent…
Et les vignes en fleurs exhalent leur parfum. »

Notre thème se retrouve au verset précédent :
« Notre lit n’est que verdure » (I,6)

À ce tableau d’ensemble où la nouveauté de la nature correspond à l’éveil vibrant d’un monde intérieur, s’ajoute l’eau des ruisseaux et des fontaines, le voile transparent qui entretient la vie.

Le vert de la nature, d’où mille parfums émanent, a pour liseré et solennelle beauté la frontière du désert d’où surgissent, sobre tableau, de mystérieux personnages enrubannés de sable.

« Qu’est-ce cela qui monte du désert
comme une colonne de fumée,
vapeur de myrrhe et d’encens
et de tous parfums exotiques ? »
(troisième poème)

Reprise dans l’épilogue :
« Qui est celle-ci qui monte du désert, appuyée sur son bien-aimé ? »

Colonne de fumée, nuée enveloppante, encens et myrrhe : serait-ce une trace de la présence divine donnée spécifiquement au couple, comme un lien toujours nouveau ?

B – la toile de fond rouge. L’empreinte de Chagal

Pastorale de jadis, où le végétal est écrin tranquille de la violence des sentiments, le texte du Cantique, pour l’œil contemporain, s’agrémente de la vision toute personnelle du
peintre Chagall : une symphonie de rouges, de l’écarlate, à la frontière de roses pâles ; une passion savamment suggérée, magnifiquement désorganisée. La toile du fond où volent et s’envolent les personnages est symboliquement l’Amour lui-même, qui unit les couples visibles à chaque coin de l’espace pictural. L’on est plongé dans un univers de feu qui ne brûle pas ; de symboles et d’objets qui n’agressent pas. Chagall s’approprie le Cantique, exprime son amour tout simplement humain, puis l’étend à la création tout entière que la Bible façonne et enveloppe. Lui-même juif et en quelque sorte, russe exilé, il est présent dans ces toiles devenues intemporelles.

Pour illustrer cette idée, il suffit de partager la vision du peintre : elle est enclose en un lieu privilégié du Musée biblique, sur les collines de Cimiez, près de Nice. On peut la partager, en se laissant entraîner par le cheval emblématique de Chagall à travers les cinq grandes toiles exclusivement consacrées au Cantique. Contempler l’œuvre n’implique pas la croyance qu’elle épuise les multiples interprétations que les siècles en ont données.

Le Cantique ne nous fournit pas de dramatique temporelle : on peut donc aborder rapidement cette première toile. Le décor majestueux reste en partie scellé. S’imposent ces formes sphériques, toujours suggestion du féminin. Puis, cette allusion probable au mariage de Salomon, « le jour de ses épousailles » ; un couple surdimensionné, recouvert d’un dais porté par deux anges, médiateurs entre ciel et terre, un acrobate, en haut à droite, se riant comme les amants, de la pesanteur. On s’interroge sur ces étranges villages encastrés, tête-bêche : Vitebsk, village natal de Chagall, et Saint Paul de Vence où il s’installa. Plus sublimement, Jérusalem. Les taches de couleur, toujours audacieuses, percent la toile de fond et se répondent en échos multiples. Du blanc, pour le couple enlacé, en bas ; ce blanc qui, par l’oiseau en vol, le chandelier, l’aile de la figure centrale, éclaire la mariée, en soulignant le bleu et le vert acides des autres éléments.

« Entraîne-moi sur tes pas, courons »
Certes,nous n’avons pas trace dans le Cantique, de ce cheval, typique de la peinture de notre musée ! La palette de Chagall ne se veut jamais pure et simple illustration d’un vers ou d’une strophe. La transposition d’un art en un autre requiert une grande liberté, on le sait.

Ici, à travers une sorte de damier flamboyant, littéralement animé par le jaune central de l’aile et les dizaines de touches de couleur finement réparties, c’est un trait manifeste de l’amour qui se profile. C’est l’empressement, la hâte, légitime ou non ? D’être seuls, l’un avec l’autre, transportés par delà les terres, sur des ailes mythiques, propulsés par un bouquet de fleurs…

Cela,le Cantique le manifeste longuement.

L’on ne voit ici qu’une partie du tableau : disparaît alors sa construction toute en diagonale, ainsi que le fourmillement printanier de la végétation, aussi peu réaliste que possible. La femme, ou plutôt sa représentation elliptique, à la limite d’une abstraction fantaisiste, est lien vivant entre l’homme et la terre (le bouquet) : elle le relie également, près de la signature de l’artiste au livre du Cantique, qui la chante et l’exalte, mais sa position, étrange, évoque essentiellement pour nous le magnifique final du poème (épilogue, 6-7…), cette requête de la bien aimée au bien aimé, de la graver en lui à jamais.

Pose-moi comme un sceau sur ton coeur,
Comme un sceau sur ton bras.
Car l’amour est fort comme la Mort,
la passion inflexible comme le Shéol.
Ses traits sont des traits de feu,
Une flamme de Yahvé.

L’AMOUR EST FORT COMME LA MORT, ET LES FLEUVES NE SAURAIENT L’ENGLOUTIR.
(À suivre…)

Annick Rousseau

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